Le 8 septembre 2014, à la veille d’une rencontre avec l’ensemble des chefs des Premières Nations du Québec et du Labrador, les chefs de la nation Atikamekw-Nehirowisiw ont rencontré les médias sur la Colline parlementaire à Québec, afin de leur livrer une déclaration d’affirmation et de souveraineté sur leur territoire : le Nitaskinan. Le magazine Premières Nations était présent lors de cette rencontre de presse qui réunissait les chefs Christian Awashish d’ Opitciwan, David Boivin de Wemotaci, Jean-Rock Ottawa de Manawan et le Grand chef Constant Awashish, récemment élu au suffrage universel.
Une importante délégation de membres de la nation Atikamekw-Nehirowisiw accompagnait leurs chefs jusque dans la salle de presse située juste derrière l’édifice du Parlement de Québec, et après avoir prononcé quelques mots dans sa langue, le Grand chef Awashish est entré dans le vif du sujet.
« Depuis 400 ans, les droits des Atikamekw de la Haute-Mauricie, centre du Québec, ont été bafoués. Nos sites ancestraux, nos droits ancestraux n’ont pas été respectés malgré les négociations territoriales qui durent depuis plus de 35 ans. Notre souveraineté existait il y a plus de 400 ans, et on a jamais abandonné nos droits, on a jamais cédé ni vendu nos terres, et on a jamais échangé notre territoire qui est toujours un territoire atikamekw. Aujourd’hui nous passons en mode affirmation unilatérale de nos droits ancestraux sur le Nitaskinan. Nous, les membres élus de la nation atikamekw, avons adopté une déclaration de souveraineté atikamekw-nehirowisiw, et nous avons décidé de mettre en œuvre nos droits sur l’autonomie gouvernementale, sur le territoire Nitaskinan. »
Avec détermination, le Grand chef Awashish s’est exprimé en ces mots, déclarant par le fait même la volonté unanime des chefs de la Nation :
« Nous, Atikamekw-Nehirowisiw, sommes une nation à part entière. Nous maintenons notre souveraineté sur Nitaskinan, territoire ancestral légué par nos ancêtres depuis des temps immémoriaux. Nitaskinan est notre patrimoine, notre héritage le plus sacré. Notre créateur a voulu que nous puissions vivre en harmonie avec notre terre-mère en nous accordant le droit de l’occuper et le devoir de la protéger. Nitaskinan a façonné notre mode de vie, notre langue, c’est ce qui nous distingue des autres nations. Notre langue nous unis et véhicule toute notre existence, elle est l’expression de notre héritage, la transmission de notre culture, de nos valeurs, de nos connaissances. Ce sont des richesses que nous voulons léguer à nos futures générations. L’application de notre souveraineté se traduit par notre occupation du Nitaskinan. La pratique de nos activités traditionnelles et l’établissement de nos relations avec les autres nations, tel que véhiculé par nos traditions orales et par les Wampum. Atikamekw Nehirowisiw entend entretenir des relations harmonieuses avec ses voisins : les Innus à l’est, les Eeyou au nord, les Abénakis au sud et les Anishinabe à l’ouest. Atikamekw Nehirowisiw entend maintenir et exercer sa gouvernance territoriale sur l’ensemble de Nitaskinan. Pour ce faire, Atikamekw Nehirowisiw a la volonté de faire de son peuple une instance politique et économique incontournable. Le consentement d’Atikamekw Nehirowisiw est une exigence pour tout développement, l’usage et l’exploitation des ressources situées sur Nitaskinan. La pérennité des ressources de Nitaskinan devrait être assurée et l’occupation traditionnelle Atikamwekw Nehirowisiw respectée. Atikamekw Nehirowisiw utilisera tous les moyens qu’il jugera appropriés pour la défense de ses droits et de ses intérêts. Nous ne sommes pas canadiens, nous ne sommes pas québécois, nous sommes Atikamekw-Nehirowisiw; nous appartenons à notre terre, le Nitaskinan. »
Une décision de la Cour suprême pour appuyer la déclaration
Une récente décision de la Cour suprême du Canada vient appuyer la démarche de la nation Atikamekw-Nehirowisiw alors qu’une toute première communauté autochtone vient de voir le titre ancestral de son territoire être reconnu; un « droit exclusif » de décider de l’utilisation de ces terres et d’en bénéficier.
Dans un jugement historique en droit autochtone, et unanime, le plus haut tribunal du Canada stipule que les Premières Nations ont le premier et dernier mot quant au sort de leurs terres ancestrales. Si le gouvernement fédéral veut empiéter sur ces territoires, les conditions sont strictes : l’État doit s’entendre avec la communauté concernée et obtenir son consentement. Sinon, il doit prouver — preuves à l’appui — qu’il a un « objectif public impérieux et réel », mais que pour l’atteindre il ne détruira pas le territoire pour les générations présentes et futures. Les préjudices de cet empiétement doivent en outre être moindres que les avantages qui en découleraient, note la Cour dans sa décision rendue en juin dernier.
La cause remonte à 1989. La nation de Tsilhqot’in s’opposait alors au permis de coupe de bois accordé par la Colombie-Britannique sur ce territoire du nord de la province. Les procédures ont traîné des années durant avant que la Cour suprême de la Colombie-Britannique reconnaisse en 2007 le titre ancestral des terres revendiquées par la nation. Cinq ans plus tard, la Cour d’appel infirmait cette décision. La Cour suprême est venue réitérer, en juin dernier, l’interprétation du juge de première instance, notamment quant au niveau d’« occupation » du territoire nécessaire pour accorder le titre de terre ancestrale. Le banc de la Cour suprême a adopté une interprétation moins rigide de ce critère, en acceptant les habitudes des communautés semi-nomades. La juge en chef Beverley McLachlin écrit que « suivant une approche qui tient compte des particularités culturelles, l’utilisation régulière des terres pour la chasse, la pêche, le piégeage et la cueillette constitue une utilisation “suffisante” pour fonder un titre ancestral ».
Des impacts pour l’ensemble des nations autochtones du Canada
La décision du plus haut tribunal du pays aura certes des effets importants sur l’ensemble des négociations actuellement en cours avec les Premières Nations du Canada. Au Québec, certaines nations et conseils tribaux voudront certainement revoir leurs stratégies à la lumière de cette décision, comme les Innus qui, on le sait, viennent de se regrouper pour former une seule et même entité. De leur côté, les Eeyous (Cris), même en territoire conventionné (Convention de la Baie-James), voudront affirmer encore davantage leur appartenance au territoire alors que de leur côté, les Anishinabe viennent de faire front commun pour les négociations à venir.
Le Grand chef Awashish en ajoute
Le Grand chef des Atikamekw-Nehirowisiw, Constant Awashish mentionne également que cette démarche s’inscrit dans un processus de co-gestion qui vise toutes les entreprises concernées. « En terme clair, nous allons exiger dorénavant notre consentement pour tout développement, usage, exploitation des ressources sur nos territoires ancestraux. Il est fini le temps des négations des droits non cédés par les atikamekw au profit d’un état qui impose des règles comme si ces droits lui appartenaient, ou que nos droits n’existaient pas. »
Finalement, une lettre a été adressée au Premier ministre du Québec, Monsieur Philippe Couillard, qui venait rencontrer les Premières Nations à Québec au lendemain de la déclaration des Atikamekw. Même si M. Couillard a voulu minimisé les impacts d’une telle déclaration de souveraineté, les Atikamekw tiennent à rappeler qu’ils iront jusqu’au bout, comme en a fait mention le chef de Manawan, Jean-Rock Ottawa, récemment élu : « Nos communautés ne s’opposent pas au développement, elles s’opposent uniquement à la manière dont le développement se fait sur les territoires atikamekw. De telle manière qu’il menace notre culture distinctive et notre mode de vie. En clair, à partir de maintenant, vous devrez prendre acte du fait que les Atikamekw n’accepteront plus de développement sur le territoire, qui n’aura pas été clairement autorisé. On nous avait promis une relation de nation à nation et la cogestion du territoire. Pourtant, nous possédons les droits ancestraux, le titre ancestral, le droit à l’autodétermination et le droit à l’autonomie gouvernemental. Le temps est venu de se faire respecter » d’ajouter le chef Ottawa.