RENCONTRE AVEC GILLES VIGNEAULT

Note de l’auteur : « La première fois que j’ai rencontré Gilles Vigneault, c’était en 1980, alors que j’étais étudiant en littérature à l’Université du Québec à Chicoutimi. Vigneault venait de sortir l’album J’ai planté un chêne, dans lequel se trouvait une chanson où la finale était en langue innu (nehlueun). Cela m’intriguait beaucoup. Il était venu donner un spectacle au Saguenay et sur l’heure du midi, il était venu rencontrer les étudiants dont j’étais. Cet immense poète québécois avait grandi à Natashquan, tout près de la communauté innu de Nutahkuan, et je me disais qu’il avait dû, quelque part, apprendre à parler montagnais. Ce fut le début de cette histoire et ce fut la question que je lui posai en 1980. Sa réponse était « Non, malheureusement ». Aujourd’hui, en 2017, voilà que Gilles Vigneault accepte de me recevoir à son atelier de St-Placide, près du lac des Deux-Montagnes, à titre de rédacteur du magazine Premières Nations et au sujet des Innus. Je lui pose d’emblée la même question, et sa réponse fut la même. Voici l’entrevue qu’il m’a accordée avec une grande générosité. Je lui ai demandé une heure, il m’en a donné deux… »

Par Pierre Gill

P. Gill : Monsieur Vigneault, merci de me recevoir. Ça fait longtemps que je voulais vous rencontrer. On s’est déjà parlé; quelque part en 1980, et je vous avais demandé si vous aviez eu la chance, dans votre jeunesse, d’apprendre le montagnais?

G. Vigneault : Hélas, non!

P. Gill : C’est ce que vous aviez répondu à l’époque.

G. Vigneault : Hélas, non, mais j’ai fini par retenir quelques ehe, tapue, mamatmiam, et quelques mashinaikan parce que, il faut écrire aussi dans mon métier. Faut que je te raconte : il m’est arrivé, un jour, de rencontrer un amérindien, un Atikamekw je pense bien, en plein bois. À quelques centaines de kilomètres de Chibougamau. Ce n’était pas à côté de Montréal, et moi j’étais perdu. Lui, ne l’était pas!

Je savais quelques mots; un peu plus que maintenant parce qu’on oublie à ne pas parler, à ne pas fréquenter ces gens-là. Donc, je le rencontre et j’étais très content parce que j’étais perdu. En même temps, je me disais « Je ne parle pas assez bien ». Quand même, j’ai trouvé le moyen de lui dire « Nipish Apue ». Ahhhh! Il répond « Ehe! » J’ai dit : « Tshil Nipish Apue ». Il a compris puis il est allé chercher de l’eau. Moi j’avais du thé et on a pris le thé ensemble. J’avais ce qu’il fallait, des tasses, etc.; mais j’étais perdu quand même.

J’avais un portage à faire d’à peu près 3 km et le portage passait d’un lac à un autre. Un moment donné, je perds le portage. Le bois avait poussé et je ne savais plus où j’étais.

P. Gill : Vous étiez déjà allé à cet endroit auparavant?

G. Vigneault : Non, jamais. C’était l’inconnu. Cet Atikamekw arrivait dans le portage, mais lui, il le connaissait. Il en connaissait tous les recoins et il n’avait pas coupé les arbres qui avaient beaucoup poussés. Évidemment, on a jasé un peu, autant que je pouvais parler, pis il m’a fait comprendre que j’étais perdu. Là il riait, ça, ça l’a fait rire. Tu sais, les Amérindiens rient comme des enfants; ils rient volontiers. Ils sont moqueurs, très volontiers moqueurs. Il s’était donc un peu moqué de moi, puis il m’a expliqué le portage, etc. On a passé une heure ensemble.

Moi, des mots me revenaient : pishum, mitshuap, etc., mais je n’avais pas souvent eu l’occasion de pratiquer. On a quand même été capable de se comprendre. Il m’a débrouillé. Il m’a montré le portage là où c’était facile de se tromper parce que les arbres avaient poussés. J’ai d’ailleurs raconté cette histoire dans un disque qui s’appelle Le pas du portageur.

Quand il est reparti, on s’est salué, on s’est serré la main puis on s’est retourné. Quand je le sentais à une certaine distance, je me suis retourné et lui non. C’était son dos. Il continuait. Lui avait réglé son affaire, et la mienne, et moi j’ai continué sur le portage et me suis retrouvé au lac. Quand j’ai rejoint le reste de l’équipe et que je leur ai conté ça, ils n’en revenaient pas. Ils n’en revenaient pas que je sache quelques mots en innu. Je leur ai dit « Apprenez-en au plus vite parce que c’est pratique en maudit » (rires).

P. Gill : Magnifique anecdote, monsieur Vigneault. Maintenant, je vais vous dire un peu ce qui m’a amené ici. En fait, c’est votre chanson La Queste du Pays.

G. Vigneault : Je suis content que tu sois au courant de la Queste du Pays!

P. Gill : Tellement que je la savais par cœur.

G. Vigneault : Arrête donc. Ben là t’es plus fort que moi, parce que moi, je ne la savais pas par cœur. J’ai eu de la misère à l’apprendre. C’était une chanson complexe et à la fin, il voyait des Chinois arriver. Oui, oui (rires). On a rie avec ça dans le temps. Voilà une chanson que j’ai écrite pour dire ce que je ressentais au sujet des Innus. Et, au début, les Québécois ont trouvé que c’était une chanson compliquée; drôle mais compliquée. Ça n’a jamais passé à la radio, d’ailleurs. Ils ont passé plus souvent Jack Monoloy.

J’en ai écrit une autre chanson en rapport avec les Innus. Ça s’appelle Une chanson blanche, que tu ne connais pas et que personne ne connaît, ça n’a jamais passé à la radio non plus :

Avec mon langage

Mes mots transparents

Je bâtis des cages

Pour les survivants

Enfants millénaires

Réapprenez-nous

À toucher la terre

À faire un Igloo

C’est une chanson que j’ai beaucoup aimé, que j’ai beaucoup travaillé. La chanson n’a jamais trouvé fortune; ni la mienne, ni la sienne. C’est une chanson qui me touche encore parce que je l’ai écrite un peu comme si je m’étais vu comme un descendant des Innus. Il y a un film extraordinaire qui s’appelle Empreinte et qui m’a énormément impressionné. Le film dit qu’au moins deux tiers des Québécois ont du sang indien dans les veines. Et moi je sais que les Dumas et les Richard en ont, et moi je suis de la septième génération… j’ai le même ancêtre que Maurice Richard (rires).

P. Gill : Oh waw, célèbre famille!

G. Vigneault : Et je sais qu’il y a des influences amérindiennes dans tout ça et qu’on ne tient pas ces nez-là des Juifs (rires en montrant son profil). C’est un exemple; on tient ce nez-là des amérindiens. Moi, j’ai connu les Amérindiens très tôt dans ma vie.

P. Gill : Nous y voilà. C’est ça que je veux savoir, que se passe-t-il, enfant, à Natashquan?

G. Vigneault : J’étais un petit garçon de 5 ans, 6 ans, 7 ans peut-être, et tous les matins, j’allais voir ce que la mer avait apporté sur la plage. On était des écumeurs de plage naturels, et de toute façon, il y avait espoir d’obtenir rien d’autre d’ailleurs que de ce qu’amenait la plage (pas d’aéroport, pas de route, etc.). Comme nouveauté, comme étrangeté, une ampoule électrique c’était une bombe pour nous, on ne savait pas ce que c’était. On ne connaissait pas ça, p’tit gars, on n’avait pas d’électricité, bref, il y avait plein de choses qu’y avait pas, mais attention! Y’avait plein de chose qu’y avait. L’essentiel était là : y’avait de l’eau pure à boire, y’avait de l’air pur à respirer, du temps, une belle vue, et du silence. Y’avait la neige, la pluie, le vent; y’avait la glace, y’avait tout ce qui est essentiel à la vie, à la vie des humains, et on se croyait pauvre. Y’avait du poisson dans la mer, y’avait du gibier dans l’bois, et on se croyait pauvre. Y’en a des pauvres sur la terre aujourd’hui, de cette pauvreté qu’on croyait avoir et qu’on n’avait pas; dont on croyait souffrir.

Bref, j’ai connu l’expérience d’avoir peur. L’une des premières phrases qu’on apprenait, c’était curieusement une phrase en rapport avec la peur. Nil mauat kestun (Je n’ai pas peur de toi). Et ça, après coup, on se dit, pourquoi est-ce qu’on a commencé par dire je n’ai pas peur de toi? C’est parce qu’on avait peur! Ce qu’on ne savait pas, c’est que l’autre avait peur aussi (rires). Alors un jour, j’étais sur la plage comme ça, pis je ramassais des choses, et je voie un petit indien de mon âge, de ma grandeur, sur la plage. J’me rappelle, je n’allais pas encore à l’école. Alors je le voie, il me regarde, il rit puis il part à courir après moi. Moi j’pars à la belle épouvante. J’ai peur. Un moment donné, je me retourne pis je l’regarde; il était arrêté puis il riait. J’ai dit Ah bin mon… Je vais te montrer que moi je n’ai pas peur. Nil mauat kestun. Je pars après lui, il part à courir à belle épouvante à son tour et là, on a fait ça deux ou trois fois puis après, on a joué ensemble. Et on avait appris beaucoup, l’un et l’autre à mon avis, mais moi plus que lui. Après ça, je n’ai jamais eu peur des Amérindiens.

Ensuite, après ça, je les voyais tous les dimanches à l’église, ils s’assoyaient en arrière, là où il n’y avait pas de banc. Ce n’est qu’à partir de 1960, je crois, qu’il y a eu quelques mariages entre blancs et indiens à Natashquan et à Pointe-Parent.

Donc, j’ai passé ma peur, et plus tard j’ai bien connu certains Innus dont le vieux Barthalémy. Il était petit et avait l’air fragile. Un moment donné, moi j’avais 17 ans, je me trouvais un homme, solide, pis je travaillais pour mon oncle Ovila, pis lui aussi. On travaillait à rentrer de la morue qui était asséchée. Ils prenaient des broyeurs de morues pis ils faisaient des piles. Pis un moment donné j’étais avec lui pour lever le broyeur. Lui il levait, moi pas. Il était costaud le bonhomme, comme ça pas de bon sens!

Ensuite j’ai connu Bastien Maleck. C’était un géant, un costaud, un grand Jack. Fin et gentil comme tout, il travaillait pour mon oncle Ovila lui aussi. Il me taquinait puis on rigolait. Il parlait un peu français, il comprenait tout ce qu’on disait en français et il m’a montré des mots indiens; ça été mon professeur, lui. Bastien a travaillé longtemps avec mon père. Mon père considérait Bastien comme un ami, il lui contait toutes sortes d’affaires. Quand il y avait un mukushan, mon père y allait. Ça m’a influencé, c’était du monde qui ne vivait pas de la même manière que nous autres. On avait l’étranger à côté de chez nous. C’est extraordinaire, un privilège incroyable. On avait l’occasion d’apprendre beaucoup de choses d’eux, et on a appris très peu. Ils avaient l’occasion d’apprendre beaucoup de chose de nous aussi, ils ont retenu très peu. Et c’était tant mieux pour eux!

Nous ne leur avons pas apporté la civilisation; la civilisation, c’est une manière de vivre ensemble. Cette manière-là, ils l’avaient aussi avancée que nous et peut-être plus. On avait apporté des maladies des fois aussi. Ils nous ont apporté une aptitude au consensus. Un souci de s’entendre et ça, on ne le sait pas, en général, qu’on tient ça d’eux. C’est des Innus que nous avons reçu cette volonté d’éviter la guerre à tout prix. Monsieur Trump pourrait en tirer des leçons, tout comme M. Jong. Y’a beaucoup de monde sur terre qui pourrait prendre des leçons de ça.

Ils croyaient au grand Esprit. Leur grand esprit valait bien notre bon Dieu. Il était un missionnaire Oblat, le père Lapointe, brillant, intelligent, qui parlait anglais et français couramment avant même d’arriver. Il ne parlait pas un mot de montagnais et au bout d’un mois, il leur a fait un sermon en montagnais. Eux, ils sont tombé sul’cul, ils n’en revenaient tout simplement pas. Donc, le père Lapointe m’a appris quelques affaires de même, entre autres que les Amérindiens remerciaient le bon Dieu, le grand Esprit, de leur avoir donné la terre. Ils ne demandaient rien. Et ça ce n’est pas tout à fait notre attitude à nous. On oublie de remercier et on demande. Y’a des différences, comme ça, qui sont majeures. Des différences qui ont l’air insignifiantes ou qui ont l’air d’avoir été oubliées, au moins dans la manière de s’adresser à Dieu, chacun de notre côté, chacun dans son coin.

On avait un privilège incroyable, à mon point de vue. La possibilité de rencontrer l’étranger et l’étrange dans notre vie quotidienne. Et on les a rencontrés et on les a jamais contrés. Moi je trouve ça important à dire, qu’il y a eu très peu de véritables chicanes. Et quand il y en avait, c’est parce que l’un ou l’autre avait trop bu. Je dis bien l’un et l’autre pour rester honnête avec les deux, parce que ça arrive aux deux. Ce n’est pas bien, souvent, de trouver le moyen d’instrumentaliser l’autre, en l’infantilisant. Ce n’est pas bien et ce n’est pas intelligent. En étudiant les Amérindiens, on découvre qu’ils ont sensiblement les mêmes problèmes que le reste de l’humanité, et parfois des manières un petit peu plus simples et un petit peu plus efficaces de les résoudre. Et moi, je n’idéalise pas l’Indien. C’est un humain. Je n’idéalise pas l’humain non plus. Je n’idéalise pas le Québécois ni le Canadien, ni le Français, ni les gens qui viennent des vieux pays, même s’ils avaient des techniques plus avancées pour tuer l’autre, des fusils qui tiraient la foudre, leur civilisation n’était pas plus avancée.

La civilisation c’est vraiment, à mon point de vue, le développement d’une manière de vivre ensemble. Ça c’est de la civilisation. Donc, les Hurons ou les autres n’étaient pas plus avancé que les autres, mais l’étaient tout autant. Aujourd’hui, messieurs Trump et Jong ont tout ce qu’il faut pour anéantir la planète entière. S’anéantir l’un l’autre en considérant qu’ils sont la planète, mais y’a du monde en dehors d’eux. Il y a un milliard trois cent quelques millions de Chinois, à côté, qui ne veulent pas de guerre nucléaire, y’a quelques Russes qui n’en veulent pas non plus, et bien du monde qui n’en veulent pas. Et eux (Trump et Jong), ils sont prêts à s’affronter. Sur un coup de tête; pour dire « C’est moi le plus fort ». Ils sont extrêmement dangereux. Et je ne vois pas de sagesse amérindienne, américaine ou nord-coréenne là-dedans. Je les trouve extrêmement inquiétant. Je trouve ça important d’en parler aujourd’hui en rapport avec ce que c’est la civilisation.

Bien sûr, les Amérindiens n’ont pas écrit ni Molière, ni Shakespeare, malgré les légendes (rires). Mais ils ont été occupés à se défendre du froid, à gagner leur pain, leur poisson et leur gibier à la sueur de leur front, de leurs mains et de leurs pieds. Ils ont été occupé à leur survie, dans des climats qui n’étaient même pas tempérés, même pas de Paris; ce n’était pas la Méditerranée, la Baie d’Hudson; ne pas confondre! Moi je trouve que tout est en rapport avec le mot civilisation.

Que c’est prétentieux de penser qu’on a apporté aux Amérindiens la civilisation. Que c’est prétentieux et idiot! Ben, tu avais des questions et tu ne peux pas les poser (rires). Excuse-moi, je suis bavard. Les Indiens sont moins bavards que ça; ils sont plus discrets.

P. Gill : Si vous permettez, j’en reviens à la chanson « La queste du pays ». Je vous disais tout à l’heure que je vous ai déjà posé la question en 1980; vous aviez 50 ans, j’en avais 23. J’étais étudiant à l’Université et j’avais déjà acheté le disque et je l’écoutais sans cesse.

G. Vigneault : Ça, ça, c’est le genre de truc qu’on ne sait pas dans notre métier. Je suis content d’apprendre ça. Pour moi, c’est une espèce de récompense; un diplôme. C’est ça ma récompense quand tu me dis, ta chanson que tu as faite à 50 ans, elle est encore dans ma tête. Donc, si elle est encore dans ta tête, c’est qu’elle y a été longtemps. Et moi je suis diplômé! Je trouve ça extrêmement important. Quand je l’ai chanté aux Innus de Natashquan, ils étaient contents aussi, ah ils ont aimé ça. D’abord et avant tout parce que je parlais leur langue.

Et comme le disait récemment Stanley Vollant, entre l’arrivée des Blancs et la crise d’Oka, on est très discret sur les Innus. Ce n’est pas qu’eux sont discrets, c’est que nous, on est crétin! J’ai une chanson qui s’appelle La Découverte. C’est le premier voyage de Jacques Cartier. Ce qui pourrait bien être un proverbe amérindien : « C’est en remontant la rivière qu’on apprend le sens de l’eau. Nous étions venus pour l’or et les diamants, alors que nous était offerte, la plus grande des découvertes, l’homme semblable et différent. » Cette chanson, je l’ai faite souvent, en spectacle, et elle a joué souvent. D’ailleurs, Jacques Cartier, à son premier voyage, s’est arrêté à Natashquan. C’est lui qui a baptisé le cap Thiennot, un marin breton naufragé qui avait été recueilli par les Innus et qui est devenu leur chef. C’est lui qui a été désigné pour aller parler à Cartier en 1534.

G. Vigneault : On voyait les Innus tous les jours. Je te raconte que ma mère était précieuse un peu, précautionneuse, et un jour, elle avait fait un grand plat de galettes. Je crois que c’était à l’occasion de la Fête-Dieu et ma mère avait invité plusieurs femmes innues dans la maison. Elles étaient toutes assises par terre. La première indienne à qui ma mère présente le plat de galette, regarde les autres, elle ne fait pas un clin d’œil mais c’est pareil, puis elle prend le plat en disant merci. Maci Manie! (Ma mère s’appelait Marie). Là ma mère ne sait pas quoi faire. Pis là, elles partent toutes à rire. Là ma mère a compris, elle a dit, redonne-moi mon plat et elle lui a redonné son plat. Ça c’est amérindien profond. Je me rappelle ça comme si c’était hier; j’étais là. Nous on ouvrait la porte à ces gens-là et ce n’était pas tout le monde qui ouvrait la porte.

Nous, on fait partie d’un groupe qui va accueillir des Syriens dans les prochaines semaines. Après un an et demi, la famille syrienne devrait arriver bientôt. Ce sont des Syriens mais ça ne sont pas des terroristes. C’est comme quand y’a un voleur amérindien, c’est tous des voleurs; ben non!

P. Gill : D’après vous, quelle serait la place des Premières Nations dans un Québec éventuellement souverain? Croyez-vous que les Premières Nations peuvent faire partie de la solution pour le Québec, et dans quelle mesure leur contribution pourrait aider le Québec.

G. Vigneault : Je vais te répondre en chanson. Ça se rapproche pas mal du bâton de rêve de Stanley Vollant. Ça fait longtemps que j’ai écrit cette chanson. Je la chante tous les soirs quand je suis en représentation, dans Paroles et musique, une nouvelle conversation que j’ai avec les gens. Parfois, je réponds à une question par une chanson. (en chantant) Avec nos mots, nos jeux, nos travaux et nos danses, nos joies et nos chagrins aussi, (tiens-toi ben) quatre cents ans de foi, d’amour et d’espérance, avec ceux qui vivaient ici. Nos miroirs et nos différences, nous sommes devenus ce peuple et ce pays. Demandez aux pierres, demandez au bois, chacun est chez soi sur la terre, chacun est chez soi sur la terre.

Les Amérindiens sont beaucoup plus gardiens de la terre que nous. Attention, y’a des pollueurs aussi. Je ne fais pas d’angélisme ou d’idéalisme, mais je trouve que les Amérindiens, l’une des erreurs qu’on a fait, c’est de les considérer comme une sous-classe, comme pas vraiment des humains ou une autre sorte d’humain, comme des enfants, les infantiliser, et c’était une énorme erreur. Parce qu’ils avaient des choses à nous apprendre, au-delà du sirop d’érable. Moi je n’ai pas appris le sirop d’érable par les Indiens, mais bon. De toute façon, y’avait pas beaucoup d’érables sur la Côte-Nord. Alors, on a oublié qu’ils avaient beaucoup à nous apprendre. On n’a pas appris grand-chose. On n’a même pas appris leur langue; ils ont appris la nôtre. Déjà, il y a une faille là. Moi, j’ai appris à dire bonjour, salut, comment tu vas, j’ai appris à dire on va faire le thé Nipish apue, bon, quelques nécessités de la vie ordinaire. Si ce n’est pas de la bonne eau, je vais dire Nipi mauat niam, Y’a des issus de secours, comme ça, que j’ai apprises. J’ai appris des grossièretés aussi, quand j’étais enfant. La grossièreté, c’est le début de la guerre, et la violence, c’est un manque de vocabulaire. Souvent, quand on est violent, c’est parce qu’on ne sait pas s’exprimer autrement. Les gens frappent au lieu de caresser, parce qu’ils ne savent pas caresser et qu’ils ont peur que la caresse soit mal vue. On n’a pas acquis ce qu’on pouvait acquérir là. Moi, j’ai parcouru le monde et je m’en veux de ne pas parler montagnais couramment. Je m’en veux. Y’a longtemps que je m’en veux. Maintenant, je veux avoir le temps d’en apprendre un peu plus.

Des humains qui se rencontrent et qui se parlent s’aperçoivent très tôt qu’ils sont dépendant les uns des autres. Ils s’aperçoivent plus vite de leurs différences, et après, plus longuement, de leurs ressemblances. On prend plus de temps à se rendre compte qu’on est pareil, qu’à se rendre compte qu’on est différent. Se rendre compte qu’on est différent, ça saute aux yeux ou à l’oreille tout de suite. Alors qu’on entend des gens dire Han, han, tapue, etc. J’entends ces mots-là qui expriment le temps et l’espace, extraordinaires. Rien qu’apprendre ces mots-là m’auraient fait aimer encore plus les Amérindiens.

Je disais dans une conférence à Paris, sur les Indiens : « De plus en plus amers, de moins en moins indiens » et ça éclatait de rire. Mais ce n’est pas rire qu’il aurait fallu, il aurait fallu pleurer. Moi je ne veux pas que les Innus soient de moins en moins Innus. Je veux qu’ils le soient de plus en plus, comme je veux être de plus en plus Québécois. Le rire et l’humour sont des outils pacifiques, ce sont des outils de paix. Trump et Jong devraient s’en inspirer. Quand on fait une blague sur l’autre et que l’autre est capable d’en rire, ça lui donne le droit de faire une blague sur nous. C’est alors qu’on commence à discuter.

P. Gill : Vous aurez 90 ans l’an prochain. Ça vous fait peur?

Non. Ce qui me fait peur, c’est autre chose. Je vais te dire ce qui me fait peur. Ce qui me fait peur, c’est de voir l’humanité, avec tant de moyens, se mettre sur le chemin de sa propre mort. Ça me fait peur de voir l’humanité prendre si mal soin de la terre. Et pendant qu’on prend aussi mal soin d’un extraordinaire vaisseau spatial, la terre, chercher des planètes où nos enfants, dans 40 000 années lumières, pourraient aller vivre. C’est d’une stupidité! Sans nom, désespérante!

P. Gill : Est-ce que vous avez fait votre deuil, de votre vivant, d’un Québec souverain?

G. Vigneault : Non! Moi je fais mon deuil de rien, tant que j’en parle, et tant qu’il y a quelqu’un qui en parle. Et tant que je peux m’adresser à des jeunes qui en parleront. Je vais participer prochainement à une activité pour soutenir les Montagnais dans leur lutte pour faire en sorte que l’Ile d’Anticosti soit déclarée internationalement importante, et qu’on arrête d’aller fouiller dans sa cave pour voir s’il n’y aurait pas un peu de pétrole alors qu’on oublie de regarder s’il n’y aurait pas d’électricité à faire avec le vent et avec le soleil. Ça je trouve cela déplorable et je trouve que les Amérindiens sont en train de nous donner une leçon au sujet d’Anticosti. Je pense à ça quand je chante. Nous serons gardiens de la terre, nous apprendrons à être comme vous, aujourd’hui, gardiens de la terre. Chacun de nous sera ce peuple et ce pays.