Lors des deux dernières années, le Fédéral a ouvert une brèche qui démontrait sa volonté de régler alors que le Québec, plus récemment, donnait une date précise pour le règlement de la négociation par la signature d’un traité. Cette date, c’est le 31 mars 2023. Suite à cette annonce, nous avons rencontré le chef de la Nation des Pekuakamiulnuatsh, Gilbert Dominique, pour qu’il nous explique ce qu’il en est, et pour qu’il nous offre des éléments de réponses afin de savoir à quoi s’en tenir.

QUESTION : Chef Dominique, est-ce que vous vous attendiez à une telle ouverture de la part des deux autres paliers de gouvernement impliqués dans cette négociation?

« On espérait grandement cette ouverture. Depuis les deux dernières années, le Fédéral a démontré concrètement son ouverture. Il a dénoué plusieurs impasses notamment en ce qui a trait à la fiscalité, même s’il n’est pas obligatoire d’avoir un régime fiscal au jour Un du traité. Dans la situation actuelle de notre peuple, où nous vivons une importante explosion démographique, il n’est pas possible d’établir un régime fiscal et on a tôt fait de le faire savoir aux instances concernées. Lors d’une rencontre des chefs innu avec M. Trudeau à Sept-Îles, ce dernier a démontré cette ouverture qui ouvrait ainsi la porte à un éventuel règlement.

Le Fédéral a également montré son ouverture à bonifier de façon très substantielle le fonds de dotation. Dans l’Entente de Principe d’Ordre Général (EPOG) signée en 2004, il était question d’environ 300 millions de dollars alors que maintenant, il est question d’un milliard de dollars pour les trois communautés. Le fonds de dotation, c’est un peu les compensations pour les dommages passés, et pour lesquels ils demanderaient quittance.

Au niveau du Québec, ce fut un peu plus ardu. Ce fut une bataille importante sur certains grands enjeux. Il fallait un certain arrimage avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et on voulait que cette déclaration ait force de référence dans le processus. L’idée de base était de partir du principe qu’un traité soit comme un arbre vivant; qu’il soit évolutif. Au début, le Québec n’était pas d’accord avec ce principe, mais plus récemment, il a accepté ce principe que nous jugeons fondamental. Personnellement moi, ça me rassure.

Donc, à partir du principe qu’un traité est évolutif, ça nous permet de croire et d’espérer qu’on pourra revoir le traité et ses principes lorsque, par exemple, un autre parti politique arrivera au pouvoir dans quelques années. Cela signifie donc que notre traité n’est pas « canné » à jamais.

Bref, on a un grand pas de fait. Et c’est le seul Premier ministre qui a confirmé une date, dans toute l’histoire de la négociation. On va donc travailler pour livrer aussi le 31 mars 2023. »

QUESTION : Quels sont les éléments, dans ce potentiel dénouement de la négociation, qui sont non-négociables pour la Nation des Pekuakamiulnuatsh?

« La question fondamentale est le respect et la reconnaissance de nos droits et titres aborigènes. D’ailleurs, ce serait la seule entente au Canada à avoir une formule de reconnaissance. Donc, nous ne sommes pas dans un mode d’échange de droits ou d’extinction. On a des droits sur l’ensemble du territoire et on s’entend sur les modalités. Il n’y a aucune cession de droits à ce niveau et il est très important de se le rappeler. »

QUESTION : Sachant qu’il faudra aller en référendum pour la conclusion du traité. À l’issus de l’exercice, avec une entente que vous jugerez satisfaisante pour la Nation, quelle stratégie allez-vous déployer pour joindre les membres et les convaincre de donner leur accord?

« C’est là un très grand défi pour notre Première nation. Mais il faut bien comprendre la séquence qui s’en vient : le 31 mars, c’est la fin de l’échéancier convenu. Nous on a avisé le Québec et le Fédéral que, peu importe la situation, on s’en va vers notre population après cette date. Il y a deux scénarios : un scénario avec un projet de traité et un scénario sans projet de traité. Cela signifie que nous retournons vers nos populations pour leur dire où nous en sommes, pour leur expliquer pourquoi on va là, et pourquoi on ne va pas là, etc. Nous allons alors soumettre à nos populations des solutions ou d’autres scénarios possibles qui restent à évaluer.

S’il y a projet de traité, nous allons travailler sur un plan assez détaillé de consultation et d’information de nos membres. Cette étape sera déterminante puisqu’on veut aller chercher le pouls de la population à savoir si elle est confortable avec les éléments du traité, ou s’il y a radicalement des points où ça ne fonctionne pas. Après cette phase, si ça va bien, il y aurait une phase de ratification par nos négociateurs qui a pour objectif de « geler » le texte afin d’aller en référendum. Ce sera certes un exercice qui s’échelonnera sur plusieurs mois, on s’entend.

Rappelons que 70% de nos membres sont non-résidents et c’est notre obligation de les consulter. Mais il faut aussi que les membres s’intéressent à ce qui se passe et participent lorsque nous aurons à les interpeller. Il faut se rappeler que nous sommes également en démarche de constitution parallèlement à la négociation. C’est un élément central et vital pour notre société et il est important que la participation le soutienne. Le traité, c’est comme un coffre à outils qui nous permettra de faire vivre notre constitution. »

QUESTION : Depuis plusieurs années, il est question d’autonomie et d’autodétermination. Dans l’éventualité de la signature d’un traité, jusqu’à quel point pouvons-nous être autonomes?

« Le traité demeure une base mais il est clair que nous ne pouvons pas être complètement autonomes au jour Un du traité. On prend pour exemple la santé, il est clair que nous n’aurons pas les moyens de supporter financièrement une telle organisation. En fait, l’autonomie c’est d’en arriver à prendre nous-mêmes nos décisions sans se les faire imposer par des tiers. La démarche est donc beaucoup plus « en escalier ». Évidemment, ce serait l’idéal d’être complètement autonomes au jour Un du traité, mais il faut être réaliste. »

QUESTION : La notion de Nation fait surface alors qu’il fut toujours question de Première Nation en ce qui nous concerne. Est-ce un élément nouveau dans le dialogue et quels en sont les raisons?

« C’est parfaitement en ligne avec ma philosophie personnelle. « Première nation », c’est un dérivé de « Indien sur réserve » à mon avis. Notre peuple, ce sont les Pekuakamiulnuatsh avec notre territoire et en ce sens, nous sommes une Nation, un Peuple, comme on parlait des Kak8tchak à l’époque. Pour moi, une Nation ou un Peuple, ce sont des gens qui partagent une même culture, une même langue, un même territoire, et qui partagent les mêmes lois, les mêmes façons de faire. Donc, dans ce sens, on peut assurément prendre cette définition de Nation des Pekuakamiulnuatsh.

Cela ne veut pas dire, cependant, qu’il y a dissociation avec la grande Nation des Innus. On fait quand même partie de cette grande Nation. Ça illustre très bien où nous en sommes politiquement. De plus, ça nous permet de négocier un traité même si les autres premières Nations n’y sont pas. »